Les «hallucinations» de l’eurodéputé Louis Michel

Publié le par Kayembe Lukengu

Reçu mardi 2 février, à Kinshasa, par Joseph Kabila, l’eurodéputé libéral francophone belge Louis Michel assure avoir constaté un certain changement. Une manière de faire oublier les critiques articulées le 16 décembre dernier, au Parlement européen à Strasbourg, par le commissaire européen libéral flamand Karel De Gucht selon lesquelles la RD Congo serait devenue un «énorme gâchis». Applaudis par les «kabilistes», Louis Michel - qui est également co-président de l’Assemblée paritaire ACP-UE – n’a pas manqué d’exaspérer une certaine opinion congolaise déçue par l’incapacité des gouvernants en place à répondre aux attentes les plus basiques de la population (sécurité des personnes et des biens, approvisionnement en eau et en électricité, nourriture, soins de santé, éducation etc.). Des milieux congolais suspectent des personnalités politiques et médiatiques francophones belges d’être impliqués dans un «complot international» dont le but se résume au maintien de Joseph Kabila au pouvoir. Quel était le but de la visite que vient d’effectuer l’eurodéputé Louis Michel au Congo ? Etait-ce un voyage d’agrément à l’occasion du 9ème anniversaire de l’accession de Joseph Kabila à la tête de l’Etat ou un déplacement dans le cadre de ses nouvelles fonctions de co-président de l’Assemblée paritaire ACP-UE ? Etait-il allé «consoler» son ancien «protégé»? Au regard des déclarations faites par l’intéressé, il apparaît que l’ancien chef de la diplomatie belge s’est rendu à Kinshasa pour «panser les plaies» infligées au «raïs» par les déclarations décapantes faites par le commissaire Karel De Gucht lors du débat du 16 décembre dernier au Parlement européen. «Karel» regrettait de ne pas trouver des «interlocuteurs appropriés» dans ce Congo qui est devenu, selon lui, un «énorme gâchis». Rappelons que l’eurodéputé Louis Michel avait choisi de hurler avec les loups dans son intervention ce 16 décembre. Il relevait notamment que «les carences du système judiciaire congolais créent un sentiment généralisé d’impunité» avant de souligner que «ce qui reste à reconstruire au Congo, c’est un Etat de droit avec de véritables fonctions régaliennes qui, aujourd’hui, sont totalement inexistantes et donc créent un vide extrêmement grave.» Fourberie A Kinshasa, c’est un tout autre homme qui est apparu. Un Louis Michel mielleux, frisant la fourberie. L’homme use et abuse des paraboles. Sans convaincre. Preuve, si besoin en était qu’il n’a pas d’éléments matériels pour démontrer les fondements de ses éloges. «Le malade était gravement malade. Mais le malade sort petit à petit de sa convalescence et retrouve les couleurs», a-t-il déclaré à l’issue de ses entretiens avec le «raïs». De qui, de quoi parle-t-il ? Michel poursuit son monologue en se disant persuadé que la RD Congo dispose des atouts indiscutables pour que la machine se remette à «fonctionner». L’eurodéputé d’ajouter : «Chaque fois que je viens ici je trouve des éléments nouveaux». Lesquels ? On peut imaginer qu’il fait allusion aux travaux de réfection de quelques altères de la capitale – à ne point finir - autant qu’au «boom immobilier» perceptible à travers la ville. Michel s’est dit «impressionné» par la volonté de Kabila à «accélérer le processus». Qu’en est-il de la qualité de vie de la population? Pas un mot. Michel a fait l’éloge du Parlement de la RD Congo. «Je trouve dans ce Parlement un véritable esprit de débats, de contrôle démocratique, a-t-il estimé. Je vais suffisamment dans des pays en développement pour vous dire et vous témoigner qu’on ne voit pas cela partout». Le parlementaire européen feint d’ignorer que la présidence de l’Assemblée nationale a été décapitée par le président de la République. On peut gager que l’homme n’a pas évoqué les sujets qui fâchent avec le "raïs". C’est le cas des députés provinciaux qui ont passé à tabac à Lubumbashi par des membres de la «Jeunesse» du parti du président de l’assemblée provinciale du Katanga. Tiraillement Notons que le commissaire européen Karel De Gucht était, dimanche 31 janvier, l’invité du journaliste Pascal Vrebos de la télévision commerciale RTL-Tvi. L’homme n’a pas voulu remuer le couteau dans la plaie en commentant les récentes critiques qu’il a formulées à l’encontre du tout nouveau ministre belge des Affaires étrangères, le CD&V Steven Vanackere, qui a été photographié entrain de trinquer avec Kabila. N’aime-t-il pas le Congo parce qu’on y parle français ?, demande le journaliste. «J’aime beaucoup le Congo, répond De Gucht. J’ai beaucoup visité ce pays. Je suis peiné de voir le Congo dans sa situation actuelle.» Depuis le début des années 90, les hommes politiques flamands et francophones belges semblent s’affronter au sujet de l’attitude à adopter vis-à-vis du Congo-Zaïre. Si un certain unanimisme était perceptible sous le régime Mobutu, cette unité de vue est partie en éclat depuis l’arrivée des Kabila au pouvoir. Le monde politique flamand est resté globalement «très critique» sur le processus démocratique, la gouvernance et les droits et libertés. Les milieux francophones paraissent plus accommodants. On entend des formules du genre «il faut donner le temps au temps.» On peut comprendre que certains citoyens congolais suspectent des personnalités politiques et médiatiques francophones de faire partie d’une «vaste conspiration internationale» dont le but est de maintenir Joseph Kabila au pouvoir pour conforter certains intérêts étrangers. Et ce, en dépit de son bilan «globalement négatif» au plan sécuritaire, économique et social. Les partisans de cette thèse épinglent quelques faits. Dans un article publié dans son édition daté 20 janvier 2001, le quotidien bruxellois annonçait que Joseph Kabila, désigné pour succéder au «Mzee», «est à moitié tutsi», par sa mère. Cette information a fait le tour du monde. Une semaine après, soit le 26 janvier, «Le Soir» s’est rétracté en soutenant cette fois que la mère de «Joseph» «est bien Congolaise». Son nom : Safi (Sic !) Manya. Depuis l’arrivée de Joseph au pouvoir les articles revêtus de la signature de la journaliste Colette Braeckman ressemblent de plus en plus à de «papiers de propagande». C’est le cas notamment d’un commentaire intitulé : «Botika Mwana». En lingala dans le texte. Traduction littérale : Foutez la paix au gamin ! Un étrange revirement éditorial de la part d’un organe de presse qui avait fait mine un moment de «se battre» pour la promotion des valeurs démocratiques et du respect des droits de l’homme au Congo-Zaïre. Hallucinations En octobre 2004, Karel De Gucht, tout nouveau ministre des Affaires étrangères, entame sa première tournée africaine. A l’étape de Kigali, il lâche : «Je n’ai pas rencontré des hommes d’Etat au Congo». De Gucht aurait été surpris par le peu de souci que les dirigeants congolais – le chef de l’Etat en tête - accordaient aux questions d’intérêt général. Le libéral francophone Armand de Decker, alors ministre de la Coopération au développement réagit vivement : «Cette prise de position est de nature à affaiblir le président Joseph Kabila et à renforcer les mobutistes qui risquent de revenir au pouvoir.» Au lendemain des affrontements entre les soldats attachés à la sécurité de l’ancien vice-président Jean-Pierre Bemba et les hommes de la garde prétorienne de Kabila en mars 2007, De Decker est interrogé au journal télévisé de RTL-Tvi à 13 heures. Sans attendre les conclusions de l’enquête ouverte par la Monuc, il désigne le coupable et les innocents: «J’espère que Jean-Pierre Bemba est conscient de la responsabilité politique très, très grande qu’il porte». Il ajoute : «Nous sommes dans une situation où, après des élections transparentes, un gouvernement légitime est en place. Et le perdant ne veut pas accepter sa défaite. Aussi, lance-t-il ses hommes dans la ville pour déstabiliser le régime». «Jean-Pierre Bemba doit comprendre qu’il ne peut pas prendre la reconstruction du Congo en otage pour ses intérêts personnels. Maintenant le président Kabila et le Premier ministre Gizenga peuvent poursuivre leur travail avec une détermination plus grande», conclut-il. Rappelons que lors d’un voyage à Kinshasa, De Decker avait trouvé des mots pour justifier le massacre des adeptes de Bundu dia Kongo par des policiers, qualifiés de "membres d’un mouvement insurrectionnel". On devrait parler d’aveuglement. Inutile de rappeler les interventions partisanes du commissaire européen Louis Michel sur la même chaîne au cours desquelles il a présenté l’actuel président congolais comme étant «l’espoir pour le Congo» ou encore «L’homme de la situation.» Tous ces compliments laissent sceptiques les premiers intéressés en l’occurrence les Congolais. La grande majorité des Congolais attendent depuis neuf ans les premiers signes du changement dans sa vie quotidienne. A Kinshasa, Louis Michel n’a rien vu. Il a été victime de ses hallucinations.
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