Colette, Joseph et les Zaïro-Congolais

Publié le par KAYEMBE LUKENGU

Quand elle rédigeait ses articles sur le président Mobutu Sese Seko, la journaliste Colette Braeckman du plus grand quotidien francophone belge «Le Soir», fonçait, la tête baissée, à l’image d’un taureau qui a vu un chiffon rouge. Les critiques, à la limite du dénigrement, étaient directes. Impitoyables. Peu importe que les affirmations soient parfois fondées sur des rumeurs. C’est le cas de l’affaire dite du «massacre» des étudiants de l’université de Lubumbashi. Une tuerie massive qui n’a jamais été élucidée douze années après l’écroulement du régime zaïrois.

Lorsqu’on parcourt les «papiers» de la même journaliste sur les successeurs de Mobutu en l’occurrence Kabila père et fils, le lecteur doit se munir d’une loupe numérique pour détecter les critiques souvent allusives, subtiles. Et pourtant. Les observateurs les plus impartiaux assurent que le «Grand Léopard» n’était ni meilleur ni pire que ses deux remplaçants. Certains analystes osent même affirmer que Kabila fils «a fait pire». C’est le cas du double massacres des adeptes du mouvement politico-religieux Bundu dia Kongo. Massacres confirmés par des investigateurs onusiens. «Mobutu était le diable», entend-on encore dire aujourd’hui dans certains milieux médiatiques belges.

Nombreux sont aujourd’hui, des Zaïro-Congolais qui parlent d’un «malentendu historique». Malentendu entre d’une part, la journaliste du «Soir» dont le combat se focalisait sur l’individu Mobutu et de l’autre, les citoyens congolais qui, eux, luttaient non seulement contre l’homme mais aussi le système qu’il incarnait. Bref, les Zaïro-Congolais voulaient changer de société et non obtenir la substitution d’un dictateur par un autre. Il n’est plus rare d’entendre dans les milieux congolais des réflexions du genre : «Colette combattait Mobutu et nous avons cru qu’elle nous accompagnait dans notre quête de l’avènement d’un Etat démocratique».

Il est vrai que l’Occident est prêt à s’accommoder de tout régime politique à la condition que le Prince ne touche point à l’économie. Les mesures de nationalisation dites «zaïrianisation» de 1973 ont constitué le point de départ du «duel à mort» entre Mobutu et les milieux capitalistes et médiatiques belges. Des milieux qui jouissaient d’une grande influence sur l’image extérieure de l’ex-colonie belge. Il faut dire que le «Grand Léopard» avait prêté le flanc en commettant deux graves erreurs. Primo : les anciens propriétaires n’ont pas été préalablement et équitablement indemnisés. Secundo : les membres de la nomenklatura ont été grassement servis lors de l’attribution des biens nationalisés.

A partir du milieu des années 70 jusqu’à l’écroulement du régime zaïrois le 17 mai 1997, «Colette» a dénoncé, au grand plaisir des opposants à Mobutu, tous les dysfonctionnements du «système»: corruption et enrichissement du personnel politique, mauvaise gouvernance, violations des droits de l’homme, répression des militants de l’opposition, atteinte à la liberté de la presse etc. Le 24 mai 1990, le maréchal Mobutu annonce le retour au multipartisme. Au mois de mai de cette même année, la journaliste du «Soir» sort le bazooka en annonçant l’affaire dite du «massacre» des étudiants de l’université de Lubumbashi. Se fondant sur des témoignages anonymes, elle fait état d’un bilan de 347 étudiants tués par des membres de la DSP (Division spéciale présidentielle). Bien que la thèse d’une tuerie massive n’ait jamais été établie, cette affaire n’a pas peu contribué à l’agonie du régime Mobutu en provoquant la rupture en cascade de la coopération.

Inutile de dire que Braeckman était (l’usage de l’imparfait est aujourd’hui de rigueur) la journaliste belge la plus redoutée par le pouvoir mobutiste mais adulée par les Zaïrois «acquis au changement». La presse zaïroise de l’opposition dite «rouge», les activistes des organisations de défense des droits de l’homme et les militants de l’opposition considéraient le quotidien «Le Soir» et sa spécialiste-maison comme des alliés décidés à accompagner les Zaïrois d’alors dans le combat pour le triomphe des valeurs démocratiques.

Le 17 mai 1997, les troupes de l’AFDL (Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo-Zaïre) entrent à Kinshasa et installent Laurent-Désiré Kabila dans le fauteuil présidentiel. Dès cet instant, le contenu des articles du «Soir» sur la RD Congo, signés «C.B», a pris un ton plus accommodant. Coopératif. Les critiques prennent le relief de simples recommandations. La sympathie vis-à-vis des dirigeants du «Congo libéré» a fini par se muer en une sorte de «connivence» au lendemain de l’accession de Joseph Kabila à la magistrature suprême. Les articles du «Soir» sur la RD Congo ont pris une intonation «maternaliste». Protectrice. Les errements du «raïs» sont mis sur le compte non pas de la mauvaise gouvernance mais du «lourd héritage mobutiste» ou des «mentalités héritées de l’ancien régime». Les violations des droits humains n’occupent plus la "Une" du journal. Elles sont releguées dans les pages intérieures de préférence sous forme d’entrefilet. Les Congolais qui goûtent à merveille la dérision ont fini par affubler «C.B.» du surnom ironique de «Veuve Kabila». Le constat est là : douze années après la chute du maréchal Mobutu, les Zaïro-Congolais sont toujours demandeurs de l’Etat de droit et de la démocratie.

Dans son édition du week-end daté 9 mai 2009, «Le Soir» publie une interview que Joseph Kabila a accordée à Colette Braeckman à Matadi. La journaliste pose au «raïs» une question pleine de sous-entendus : «Comment expliquez-vous que les Occidentaux semblent beaucoup plus critiques à votre égard que durant la transition ?».

Dans un commentaire intitulé «La solitude …jusqu’au pouvoir personnel ?», publié dans la même édition (voir «Nos confrères ont écrit»), Braeckman semble expliciter cette question : «(…), lorsque l’air se raréfie au sommet, elle diminue d’autant la place laissée aux contre-pouvoirs, aux suggestions. C’est pour cela peut-être que des mesures sont prises à l’encontre de RFI, que des journalistes se sentent menacés, que le «cabinet présidentiel» prend de plus en plus le pas sur le gouvernement, que les forces de sécurité ont souvent la main lourde, sinon meurtrière, que l’Assemblée nationale a été sérieusement reprise en main… ».

Et de poursuivre : «Or la jeune démocratie congolaise est encore fragile (…). Le président Kabila, aujourd’hui encore plus clairement qu’hier, sait où il va. Mais de grâce, qu’il n’y aille pas seul, suivant la piste dangereuse du pouvoir personnel…».

Notre estimée consoeur Colette Braeckman semble découvrir sur le tard ce que les Congolais savent et dénoncent depuis la pseudo-libération du 17 mai 1997...

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article