Kabila: le début d'une fin

Publié le par KAYEMBE LUKENGU

Le président de la Commission européenne, le Portugais José Manuel Barroso, a réagi, au début de la soirée, jeudi 7 janvier, suite à la décision des autorités congolaises déclarant «persona non grata» le commissaire européen au Développement Karel de Gucht censé effectuer une visite de travail au courant de ce mois à Kinshasa. Les autorités congolaises reprochent à l’ancien ministre belge des Affaires étrangères des critiques formulées sur la gestion des affaires publiques en RD Congo. C’était lors d’un débat sur le thème «violence au Congo» qui a eu lieu mercredi 16 décembre, au sein de la «Commission Développement» du Parlement européen à Strasbourg. Outre Karel De Gucht, dix-huit euro-députés ont fait des interventions ce jour dont le prédécesseur de De Gucht en l’occurrence Louis Michel. Gâchis, corruption, inefficacité, impunité, violations des droits de l’Homme, absence d’Etat de droit, absence du sens du bien connu. Ce sont là notamment des mots qui revenaient lors de ces interventions. L’ambiance générale trahissait la désillusion. Bref, la méfiance des euro-députés à l’égard des gouvernants congolais. Dans son édition datée jeudi 7 janvier, le quotidien bruxellois «La Libre Belgique» rapporte que la représentation diplomatique de l’Union européenne à Kinshasa a réceptionné, samedi 2 janvier, une note verbale de protestation du ministère congolais des Affaires étrangères suite aux propos tenus par le commissaire européen Karel De Gucht lors du débat du 16 décembre au Parlement européen. La note accuse De Gucht de s’être livré à un «procès du fonctionnement de l’Etat congolais dans des termes aux relents notoirement racistes, irrespectueux et irresponsables.» Selon «La Libre», un message verbal a été communiqué au chargé d’affaires de la Mission de l’UE selon lequel «dans l’état actuel des choses, la venue» de ce commissaire dans la capitale congolaise «n’était pas souhaitable». Aussi, «toute demande de visa serait considérée comme une provocation.» Selon la même source «KDG» était attendu en RD Congo au cours de ce mois de janvier. But : signer des conventions de financement de dix projets pour un montant total de 278,5 millions d’euros. Les réactions L’ancien chef de la diplomatie belge a été le premier à réagir. Dans une déclaration faite à la première chaîne de la radio publique flamande (VRT), il a estimé que «la réaction de Kinshasa à son analyse de la situation dans l’est de la RDC allait "trop loin" et n’était "pas normale". Et de souligner que «son analyse était objective et qu’elle est ressentie comme telle au sein du parlement européen». Le commissaire européen a tenu à préciser qu’il est intervenu à ce débat «au nom de la Commission européenne» tout en assurant que «son intervention avait été concertée avec Catherine Ashton, la Haute représentante pour la politique étrangère de l’Union européenne». "Je ne trouve pas cela commun de dire d’un commissaire européen qu’il est raciste, je ne trouve pas cela normal", a-t-il ajouté. Se refusant de transformer cette polémique en une "affaire personnelle", De Gucht se veut imperturbable : "Je pense que plusieurs choses au Congo, fondamentalement, ne fonctionnent pas et que la population en paie un prix particulièrement élevé. J’ai déjà dit tout cela une dizaine de fois de manière diplomatique. Je pense l’avoir dit désormais de manière très correcte et claire". Comme il fallait s’y attendre, le commissaire européen a reçu l’appui de la Commission européenne sous la forme d’une déclaration d’un porte-parole de l’exécutif européen. «Le commissaire européen au développement, Karel De Gucht, a le "soutien total" du président de la Commission, José Manuel Barroso, dans la querelle qui l’oppose aux autorités congolaises», indique ce porte-parole. Et de souligner que les «propos incriminés reflétaient la position de l’exécutif européen dans son ensemble et avaient le "soutien" de son président José Manuel Barroso». La Commission européenne fait donc bloc autour de son commissaire à l’Aide au Développement déclaré persona non grata à Kinshasa. Débat sur «la violence au Congo» Lors du débat organisé, le 16 décembre, au Parlement européen, dix-huit euro-députés ont pris la parole en se fondant sur le rapport rédigé d’une part par le rapporteur des Nations Unies sur les exécutions extrajudiciaires en RD Congo, Philip Aston, et de l’autre sur le rapport de l’Ong américaine Human Right Watch(HRW) lequel fait état de 1.400 civils tués lors de la traque des combattants FDLR dans le cadre de l’opération «Kimia 2». La première intervenante, en l’occurrence la Suédoise Cécilia Malmström, a commencé par déplorer la «situation dramatique» qui continue à prévaloir en RD Congo avec son lot de violations des droits humains, violences sexuelles et impunité. Tout en saluant la «normalisation» des relations entre Kinshasa et Kigali, l’eurodéputée a souligné que «la situation reste instable à l’Est» tout en invitant le gouvernement congolais à prendre «sans délai» des mesures afin que les responsables des exactions répondent de leurs actes. Prenant la parole en second lieu, Karel de Gucht a rappelé les interventions de l’UE en matière d’aide humanitaire et de programmes afin de «rétablir l’Etat de droit» en RD Congo. Selon lui, des dizaines de millions d’euros «et même plus de 100 millions d’euros» ont été affectés à ces actions. Et de s’interroger : "Le problème est quelle est l’efficacité de tout cela au bout du compte, si vous n’avez pas d’interlocuteur approprié dans l’arène politique ?". Pour lui, la RD Congo est devenue un «énorme gâchis» dans «un pays où presque tout est à refaire, à commencer par la reconstruction de l’Etat, dont l’absence est au coeur du problème». Ce sont là les propos qui ont suscité l’ire des autorités de Kinshasa. D’où la réaction pour le moins émotionnelle de la part du ministre congolais de la Communication, Lambert Mende Omalanga, accusant De Gucht «de se prendre pour un donateur divin». Comprenne qui pourra. Commentant le nouveau bras de fer avec De Gucht, via l’AFP, Mende s’est contenté de dire que ce responsable européen serait «incapable d’avoir des relations normales, dignes», avec la RD Congo. Et d’ajouter que la RD Congo voudrait poursuivre ses relations avec l’UE sans «avoir affaire avec ce personnage". "Nous considérons que cela est un problème personnel de Karel De Gucht, et non pas un problème institutionnel, avec les institutions européennes". Fonctions régaliennes de l’Etat Revenons au débat du 16 décembre. Réputé, à tort ou à raison, pour sa «kabilophilie», l’eurodéputé Louis Michel n’a nullement pris le contre-pied de son successeur à l’Aide au développement. Bien au contraire. Il a enfoncé le clou en déclarant notamment : «Les carences du système judiciaire congolais créent un sentiment généralisé d’impunité». L’ancien chef de la diplomatie belge ne s’est pas empêché de marteler ces mots : «Ce qui reste à reconstruire au Congo, c’est un Etat de droit avec de véritables fonctions régaliennes qui aujourd’hui sont totalement inexistantes et donc créent un vide extrêmement grave.» Loin est apparemment l’époque où Louis Michel, alors commissaire européen, déclarait sans sourciller que «Joseph Kabila représente l’espoir pour le Congo.» Lors de ces discussions, plusieurs orateurs ont dénoncé l’«inefficacité» du gouvernement congolais à éradiquer les violences faites à la population dans les provinces du Kivu. L’opération «Kimia2» en a pris pour son grade. «Il faut mettre les FDLR hors d’état de nuire, tonnait un eurodéputé. Mais pas à n’importe quel prix. La population civile doit être protégée». «Optimisme prématuré» D’autres orateurs ont balayé d’un revers de la main la volonté exprimée par les autorités de Kinshasa de voir la Mission de l’Onu au Congo commencer le «retrait progressif» de ses troupes. «C’est une erreur de demander à la Monuc de partir. Ce départ risque de laisser un vide.» Plusieurs intervenants ont salué l’opération «Tolérance zéro» lancée par Joseph Kabila avant de souligner en chœur : «Tolérance zéro ne doit pas rester au niveau de mots. Il faut des actes pour mettre fin à l’impunité. L’impunité est une invitation à renouveler le délit.» La mise en oeuvre des mécanismes pour mettre fin à l’exploitation des ressources naturelles de la RD Congo par des groupes armés a été également évoquée. Un intervenant a reproché à l’Union européenne d’avoir fait preuve d’«optimisme prématuré» après les élections générales de 2006 estiment que trois années après, on assiste à un «gâchis». Plus radical, un eurodéputé a exhorté l’UE à laisser la RD Congo avec ses problèmes pour axer son action sur des «terrains connus» tels que les Balkans et le Caucase. Une opinion qui n’a pas été appuyée. A Bruxelles, des analystes estimaient, jeudi, que Joseph Kabila et ses ministres en charge respectivement des Affaires étrangères et de la Communication et des médias ont commis une «bourde diplomatique» en se trompant non seulement d’époque mais surtout d’adversaire et de front. «D’abord parce que, l’Occident en général et l’Union européenne en particulier sont désillusionnés par la situation dramatique que vit la RD Congo, trois années après les consultations politiques de 2006, commente un lobbyiste belgo-congolais auprès du Parlement européen. Rares sont désormais les Européens qui clament encore à haute et intelligible voix que Kabila reste l’homme de la situation. Ensuite, De Gucht n’est plus le ministre des Affaires étrangères de la «petite Belgique». Enfin, en lançant ce bras de fer pour le moins dérisoire contre un commissaire européen, la RD Congo prend le risque de s’aliéner la sympathie des vingt-sept Etats membres de l’Union européenne. Une Union qui est et reste le premier bailleur de fonds dans la Région».
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